Éthique

Pourquoi l’absence d’épargne n’est pas en accord avec les valeurs de l’Islam

Anass PATEL
9/5/2025
11 min

De nombreux musulmans considèrent qu’il n’est pas nécessaire d’épargner, sous prétexte que « tout est entre les mains d’Allah ». Cette posture peut sembler empreinte de piété, mais elle traduit en réalité une incompréhension du concept de tawakkul (la confiance en Allah). En islam, la confiance en Allah n’est jamais synonyme de passivité, mais d’engagement actif, de préparation et de responsabilité.

La question n’est donc pas : « Dois-je épargner ? » mais plutôt : « Comment épargner de manière éthique, alignée avec mes valeurs, et utile pour ma famille comme pour la société ? »

La vision islamique de l’argent

Dans notre religion, l’argent n’est pas une fin en soi. Il est considéré comme une amana (dépôt confié par Allah) et doit être utilisé avec équilibre et responsabilité.
Trois grands écueils sont mis en garde :

  • le gaspillage (isrâf) : dépenser de manière excessive ou inutile,

  • la thésaurisation (kanz) : accumuler sans faire circuler,

  • le riba : tout gain injuste et illicite.

L’islam invite à un juste milieu : faire circuler l’argent de manière licite et utile, pour soi-même, sa famille et la société.

Tawakkul et prévoyance : un équilibre nécessaire

La confiance en l’avenir ne signifie pas rester passif. En islam, le tawakkul incite à placer sa foi en Allah tout en continuant à agir de manière réfléchie et responsable. Le Prophète ﷺ a dit :

« Si vous faisiez confiance à Allah comme il se doit, Il vous accorderait votre subsistance comme Il l’accorde à l’oiseau : il sort le matin le ventre vide, et revient le soir rassasié. » (Tirmidhi)

L’exemple de l’oiseau, qui sort le matin chercher sa subsistance pour revenir rassasié le soir, illustre cette logique : la subsistance est promise, mais l’effort reste nécessaire.

Appliqué à la gestion financière, ce principe montre qu’anticiper et planifier n’est pas un manque de foi, mais au contraire une manière concrète de protéger sa famille et ses projets. Constituer une réserve, prévoir des investissements ou organiser ses finances relève donc d’une démarche à la fois prudente et en accord avec les valeurs islamiques.

Les finalités concrètes de l’épargne éthique

Plutôt que de se demander simplement « Faut-il épargner ? », il est plus pertinent de réfléchir à pour quoi épargner et comment cet argent peut être utilisé de manière responsable et utile. Une épargne réfléchie ne sert pas seulement à accumuler, elle devient un levier pour atteindre des objectifs de vie, protéger ses proches et contribuer positivement à la société.

1. Protéger : anticiper les imprévus et sécuriser ses proches

L’épargne permet d’avoir un filet de sécurité pour faire face aux événements inattendus : maladie, perte d’emploi, réparation urgente, ou situations familiales imprévues.

  • Exemples concrets : disposer d’un fonds d’urgence équivalent à 3 à 6 mois de dépenses, prévoir une assurance complémentaire ou mettre de côté pour des dépenses imprévues liées aux enfants ou à la famille élargie.

  • Avantage spirituel : éviter de mettre ses proches dans une situation difficile, ce qui est en accord avec le principe islamique de responsabilité envers sa famille.

2. Préparer : anticiper les besoins futurs

Épargner, c’est aussi préparer l’avenir pour soi et pour ses proches.

  • Études des enfants : les frais d’études supérieures peuvent être importants. Anticiper permet de réduire le stress financier et de donner aux enfants plus de liberté dans leurs choix.

  • Retraite : s’assurer un revenu complémentaire pour maintenir son niveau de vie lorsque l’on ne travaille plus.

  • Temps de moindre productivité : mettre de côté pour les périodes où l’on ne pourra pas générer de revenus, par exemple en cas d’arrêt temporaire pour raisons personnelles ou professionnelles.

Cette prévoyance traduit une gestion prudente et stratégique de ses ressources, qui s’inscrit dans une démarche de sérénité et de responsabilité.

3. Accomplir : réaliser ses projets et ambitions

L’épargne éthique permet de concrétiser des projets significatifs et licites :

  • Spirituels : financer un Hajj ou une ‘Umra sans recourir à l’endettement.

  • Professionnels : lancer une activité entrepreneuriale ou investir dans un projet aligné avec ses valeurs.

  • Sociaux ou associatifs : soutenir une cause, contribuer à des projets communautaires ou à des initiatives solidaires.

Dans ce contexte, chaque euro devient un outil pour transformer un rêve ou une intention en réalité, tout en respectant des principes éthiques et responsables.

4. Transmettre : léguer et soutenir la famille et la communauté

Enfin, l’épargne permet de préparer l’héritage et la continuité financière pour ses proches :

  • Constituer un capital ou un patrimoine qui servira à la génération suivante.

  • Faire travailler son argent afin que les richesses circulent de manière juste et bénéfique.

  • Assurer la continuité des projets familiaux et personnels sans créer de tensions ou de dettes pour les héritiers.

Ainsi, chaque objectif d’épargne devient un acte réfléchi et intentionné, qui peut être considéré comme un acte de baraka lorsqu’il est aligné avec les valeurs islamiques et éthiques.

L’impact collectif d’une épargne responsable

Épargner ne se limite pas à sécuriser sa vie personnelle ou ses projets. Une gestion réfléchie de ses ressources a également des effets positifs sur la société. Lorsque l’argent est investi dans des projets concrets et licites, il devient un levier pour soutenir l’économie réelle et favoriser le développement d’activités utiles, qu’il s’agisse d’entreprises, de commerces ou de projets immobiliers éthiques. En mobilisant ses ressources de manière responsable, l’épargnant contribue à la création d’emplois et à la croissance de secteurs productifs, tout en participant à une circulation de la richesse qui profite à la communauté.

Choisir des placements conformes aux principes éthiques et au droit musulman permet également de réduire la dépendance aux mécanismes d’usure (riba) et de spéculation excessive. De plus, l’épargne excédentaire devient éligible à la zakat, transformant une partie de ses ressources en un soutien direct pour ceux qui en ont besoin. Ainsi, l’argent placé de manière réfléchie circule dans des circuits responsables, génère de la valeur, favorise la stabilité économique et contribue à la solidarité sociale.

Loin d’être un acte égoïste, une épargne bien pensée et éthique devient un moteur de valeur partagée, renforçant la cohésion et permettant à chacun de bénéficier indirectement des choix financiers réfléchis de l’épargnant. Elle illustre parfaitement comment responsabilité individuelle, impact collectif et dimension éthique et spirituelle peuvent se conjuguer harmonieusement.

Conclusion : responsabilité et baraka

Ne pas épargner peut sembler spirituel, mais c’est en réalité une négligence : cela revient à laisser aux autres la charge de nos responsabilités.
Épargner de manière éthique et responsable, c’est agir comme le Prophète ﷺ l’a enseigné : prévoir, protéger, transmettre.
C’est aussi chercher la baraka dans ses biens, en utilisant l’argent comme un outil de construction, au service de la foi et de la société.

Prévoir ne contredit pas la foi : c’est au contraire l’incarner.

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